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Déc

ADMINISTRATEUR PROVISOIRE : LA COUR DE CASSATION FERME LA VOIE AU CREANCIER

(Cass.com Com., 7 mai 2025)

Dans un arrêt rendu par la chambre commerciale le 7 mai 2025 (n° 233 FS-B, pourvoi n° 23-20.471), la Cour de cassation rappelle, avec une netteté qui retient l’attention, que la désignation d’un administrateur provisoire est une mesure dont l’accès est conditionné, avant même toute discussion sur l’urgence ou la gravité des faits allégués, par une exigence de recevabilité tenant à la qualité pour agir.

Le litige naît à propos de la société Thelema, constituée pour porter l’acquisition d’un terrain et la construction d’un manoir, dénommé « [6] », sous la présidence de M. [U], la société Fabuleo Ltd étant associée majoritaire.

Deux sociétés appartenant à un groupe spécialisé dans l’accompagnement et l’investissement, The Family Fellowship LLP et The Family Global Godfathers SPC, soutenaient que M. [U] aurait, dans le cadre de ses fonctions au sein du groupe, détourné des fonds au profit de Thelema afin de financer les travaux de construction. Se prévalant de leur qualité de créancières de Thelema, elles avaient sollicité en référé la désignation d’un administrateur provisoire, estimant que le fonctionnement de la société était anormal et qu’elle était exposée à un péril imminent, en particulier au regard d’actes de gestion qu’elles regardaient comme frauduleux ou contraires à l’intérêt social et de manquements graves de gouvernance et de gestion.

Devant les juges du fond, l’argumentation des demanderesses s’était structurée autour des critères classiques de l’office du juge des référés, invoquant la nécessité de mesures conservatoires ou de remise en état pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite, et critiquant la rétractation d’une ordonnance sur requête ayant désigné un administrateur provisoire.

Le pourvoi reproduit d’ailleurs une série de griefs très fournis sur l’appréciation du caractère anormal de certains engagements contractuels, sur l’existence d’une fraude alléguée, sur l’absence de prise en compte de pièces étrangères et sur le défaut d’examen de certains éléments de preuve, ainsi que sur la caractérisation d’un péril imminent lié, selon elles, à la propension du dirigeant à privilégier ses intérêts personnels et ceux de l’associé majoritaire au détriment de la société.

La Cour de cassation ne se laisse toutefois pas entraîner sur ce terrain. Elle énonce un principe bref mais décisif : le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire de celle-ci. Constatant que les sociétés demanderesses se prévalaient précisément de leur seule qualité de créancières pour soutenir leur demande, elle en déduit l’irrecevabilité de l’action.

La solution est consacrée comme un motif de pur droit, suggéré par la défense, qui suffit à légalement justifier la décision attaquée, ce qui conduit au rejet du pourvoi, sans qu’il soit nécessaire de répondre aux multiples branches critiquant l’appréciation des faits et la motivation des juges du fond sur le péril, la fraude ou les preuves.

L’apport principal de l’arrêt est donc méthodologique autant que substantiel : il place la question de la qualité à agir au premier rang, en rappelant que l’administrateur provisoire est un instrument de “gouvernance” de la société, destiné à rétablir un fonctionnement normal lorsque l’intérêt social est directement menacé, mais dont la mise en mouvement ne peut pas être sollicitée par n’importe quel tiers au seul motif qu’il est exposé économiquement au comportement du débiteur.

Cette solution oblige, dans la construction contentieuse, à distinguer l’objectif poursuivi par le créancier. S’il s’agit de préserver le gage, d’éviter l’organisation d’insolvabilité ou la dissipation d’actifs, l’arsenal pertinent n’est pas celui du remplacement du management par un administrateur provisoire, mais celui des mesures conservatoires et des mécanismes propres à la protection du recouvrement, qui s’adressent à la garantie de la créance plutôt qu’à la direction de la société.

À l’inverse, la désignation d’un administrateur provisoire suppose d’entrer par la “bonne porte”, c’est-à-dire par la voie ouverte à ceux qui ont vocation à défendre l’intérêt social ou l’équilibre interne de la personne morale, et non par le simple statut de créancier, fût-il muni d’indices sérieux sur une gestion contestable.

En pratique, l’arrêt incite donc à un audit immédiat des conditions de recevabilité avant d’investir un débat probatoire coûteux sur la fraude et le péril, car la décision illustre qu’un dossier peut être riche et documenté, et néanmoins neutralisé par une fin de non-recevoir qui rend inopérantes toutes les critiques portant sur l’appréciation des circonstances de fait.

Mohamed Djerbi – Avocat associé

Pour plus d’informations, vous pouvez le contacter m.djerbi@cdmf-avocats.com – 04.76.48.89.89