Dans un arrêt rendu le 10 avril 2025, la troisième chambre civile de la Cour de cassation apporte une clarification utile sur les conditions dans lesquelles un dispositif de vidéosurveillance installé sur une propriété privée peut constituer un trouble manifestement illicite lorsqu’il porte atteinte à la vie privée des voisins ou des usagers d’un chemin.
Les faits
Un propriétaire, M. D, avait construit un mur à la limite de sa parcelle en Polynésie française et y avait fixé une caméra de vidéosurveillance orientée vers un chemin de servitude voisin, dont les consorts B – N se déclaraient copropriétaires.
S’estimant victimes d’un empiètement et d’une atteinte à leur vie privée, ces derniers l’ont assigné en référé, demandant la démolition du mur litigieux et le retrait de la caméra installée en surplomb de leur parcelle.
Décisions des juges du fond
La Cour d’appel de Papeete a rejeté leur demande concernant la caméra, au motif que celle-ci filmait uniquement un chemin de passage commun à tout le voisinage, et qu’il n’était donc pas démontré que ce dispositif causait une atteinte à la vie privée des demandeurs, du moins à hauteur de référé.
Censure de la Cour de cassation
La Haute juridiction casse cette décision, rappelant deux principes essentiels :
- Article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».
- Article 432 du Code de procédure civile de la Polynésie française : le juge des référés peut ordonner des mesures conservatoires pour faire cesser un trouble manifestement illicite, même en présence d’une contestation sérieuse.
La Cour reproche aux juges d’appel de ne pas avoir tiré les conséquences de leurs propres constatations : en effet, ils avaient reconnu que la caméra captait les personnes empruntant le chemin. Cela suffisait à caractériser une atteinte à la vie privée, et donc un trouble manifestement illicite, justifiant une mesure de retrait en référé.
Apports de l’arrêt
Cet arrêt illustre plusieurs points importants :
Le caractère commun ou public d’un chemin n’exclut pas l’existence d’une vie privée : filmer un passage fréquenté par des voisins ne permet pas d’éluder la réglementation sur la vie privée, surtout s’il existe une captation d’images identifiable des personnes.
En référé, la seule constatation d’une atteinte manifeste suffit pour justifier l’intervention du juge, sans attendre une décision au fond.
La vidéosurveillance privée ne peut être utilisée comme outil de contrôle général sur les tiers, y compris dans des espaces partagés.
À retenir : En matière de vidéosurveillance privée, la frontière entre protection des biens et atteinte à la vie privée est fine. Dès lors qu’un dispositif permet la captation d’images de personnes sur un espace qu’elles fréquentent légitimement, il peut être interdit en référé.
Cour de cassation, 3e civ., 10 avril 2025, n° 23-19.245
Mohamed Djerbi – Avocat associé
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