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Juin

Vers une remise en cause de la libre distribution de réserves, primes ou report à nouveau, hors assemblée générale ordinaire annuelle ?

Par un jugement, rendu le 23 septembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris, (T. com. Paris 23-9-2022 n° J2021000542) a remis en cause une distribution de réserves qui avait été décidée en dehors de l’assemblée générale d’approbation des comptes d’une société anonyme en retenant la qualification de distribution de « dividendes fictifs ». Pour autant la juridiction consulaire n’a prononcé aucune sanction à l’encontre des dirigeants et n’a pas plus exigé la répétition des sommes au motif que les parties n’en avaient pas fait la demande.

Rappelons que l’article L.232-11 al.2 du Code de commerce dispose que « l’assemblée générale peut décider la mise en distribution de sommes prélevées sur les réserves dont elle a la disposition. En ce cas, la décision indique expressément les postes de réserve sur lesquels les prélèvements sont effectués. Toutefois, les dividendes sont prélevés par priorité sur le bénéfice distribuable de l’exercice. »

Et que l’article L.232-12 du Code de commerce prévoit que « Après approbation des comptes annuels et constatation de l’existence de sommes distribuables, l’assemblée générale détermine la part attribuée aux associés sous forme de dividendes. Toutefois, lorsqu’un bilan établi au cours ou à la fin de l’exercice certifié par un commissaire aux comptes fait apparaître que la société, depuis la clôture de l’exercice précédent, après constitution des amortissements et provisions nécessaires, déduction faite s’il y a lieu des pertes antérieures ainsi que des sommes à porter en réserve en application de la loi ou des statuts et compte tenu du report bénéficiaire, a réalisé un bénéfice, il peut être distribué des acomptes sur dividendes avant l’approbation des comptes de l’exercice. Le montant de ces acomptes ne peut excéder le montant du bénéfice défini au présent alinéa. Ils sont répartis aux conditions et suivant les modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.

Tout dividende distribué en violation des règles ci-dessus énoncées est un dividende fictif. »

La question qui s’est alors posée était celle de savoir si une assemblée générale pouvait décider de distribuer, de manière exceptionnelle, des dividendes hors assemblée générale d’approbation des comptes ou en dehors d’un acompte sur dividende ?

A cette interrogation, le Tribunal de commerce de Paris a répondu par la négative en soutenant que « il ne peut en effet sérieusement être soutenue que l’alinéa 2 de l’article L. 232-11[…] permettrait, en l’absence de dispositions contraires, un autre mode de distribution, que celui, alternatif, qui résulte de l’article L. 232-12 […] et que les sociétés auraient, dans le silence des textes, la possibilité de procéder librement à des distributions de sommes prélevées sur les réserves ; en effet, une telle lecture ferait perdre tout sens à l’un des principes dégagés par ces textes qui vise à s’assurer que la société, en ce compris ses résultats les plus récents, présente bien une capacité de distribution compatible avec le respect de sa solidité financière, dans un souci de protection des tiers […] ».

Ce jugement va à l’encontre d’une pratique répandue et unanimement approuvée. En effet, le tribunal affirme qu’il n’est pas possible de procéder à une distribution des réserves sans tomber sous le coup d’une distribution de dividendes fictifs alors même qu’un arrêt de la Cour d’appel de Lyon en date du 31 mai 2018, avait validé la distribution de réserves hors assemblée générale annuelle d’approbation des comptes (CA Lyon 31-5-2018 n° 16/09102).

Plus encore, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), considère qu’en l’absence d’interdiction expresse de la loi une distribution de sommes prélevées sur des réserves peut être décidée par une assemblée générale convoquée exceptionnellement. (Bull. CNCC 1981 p. 500).

L’Ansa et la doctrine se sont, depuis longtemps, ralliées à la position prise par la CNCC.

Le Tribunal de commerce de Paris, en plus d’adopter une position stricte sur l’application des dispositions relatives à la distribution des sommes en réserve, n’a pas fait de distinction en fonction de l’origine des fonds distribués. Par conséquent, doit-on considérer qu’aucune distribution prélevée sur le compte « report à nouveau » ou le compte « prime » ne pourrait dès lors être décidée en dehors d’une assemblée générale ordinaire annuelle ? C’est légitimement que nous pouvons nous interroger sur l’origine des fonds qui pourraient être distribués dans la mesure où le tribunal nous donne une interprétation stricte des textes du Code de commerce sans pour autant se prononcer les autres comptes de sommes distribuables.

Si la Cour d’appel, voir même la Cour de Cassation, confirment la position prise par le tribunal, plusieurs risques sont encourus notamment la nullité de la décision d’assemblée générale de distribution, la répétition des dividendes distribués, la responsabilité civile des dirigeants ayant pris la décision ayant causé un préjudice subi par la société, pour les sociétés par actions et les SARL, le délit pénal de distribution de dividende fictif.

Dans l’attente de l’arrêt de la Cour d’appel, il est conseillé de rester tempéré quant à la portée de ce jugement de première instance, qui plus est mal motivé juridiquement et qui ne fait que remettre en cause une pratique largement répandue par les sociétés et admise par la doctrine depuis des années.

De plus, il s’agit d’une décision d’espèce qui a été rendue au regard d’un contexte lié à la crise du Covid-19. La Banque centrale Européenne, avait recommandé, aux établissements de crédit, de ne pas verser de dividendes et de ne prendre aucun engagement irrévocable pour les exercices 2019 et 2020.

La prudence pourrait amener à limiter dès à présent les distributions exceptionnelles hors assemblée générale ordinaire annuelle ou alors si une telle décision devait être prise, de la baser sur un arrêté comptable intermédiaire certifié par le commissaire aux comptes conformément à l’article L. 232-12 du Code de commerce.

Nous pensons que ce jugement d’espèce sera infirmé par la juridiction de seconde instance et ne deviendra pas un principe pour le monde des affaires.

Thierry Lebrun – Avocat associé

Pour plus d’informations, vous pouvez le contacter : t.lebrun@cdmf-avocats.com-04.76.15.39.16

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