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21
Mai

L’expert judiciaire engage sa responsabilité en cas de conclusions imprécises : un rappel ferme de la Cour de cassation

Dans une décision du 19 mars 2025, la Première chambre civile de la Cour de cassation a adressé un rappel important : l’expert judiciaire n’est pas juridiquement intouchable.

Lorsqu’il commet une faute dans l’accomplissement de sa mission, il engage sa responsabilité civile, y compris lorsque ses conclusions sont techniquement insuffisantes ou imprécises. Cette décision rappelle l’importance de l’obligation de rigueur et de précision qui pèse sur l’expert judiciaire, même lorsqu’il est désigné par le juge.

Il est constant que l’expert judiciaire engage sa responsabilité à raison des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile sur le fondement de l’article 1240 du Code civil :

La responsabilité personnelle d’un expert judiciairement désigné, à raison des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission, est engagée conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile ; qu’il en est ainsi même si le juge a suivi l’avis de l’expert dans l’ignorance de l’erreur dont son rapport, qui a influé sur la décision, était entaché » (Civ. 2e, 8 oct. 1986, n° 85-14.201).

Ce principe a été réaffirmé par la Cour dans cet arrêt : « 9. L’expert judiciaire engage sa responsabilité à raison des fautes commises dans l’accomplissement de sa mission, conformément aux règles de droit commun de la responsabilité civile ».

A l’origine, Madame [L] avait sollicité une expertise judiciaire pour des désordres affectant sa maison. Le rapport rendu par l’expert a été jugé lacunaire, imprécis et non étayés par des investigations sérieuses sur l’origine des désordres affectant la construction. Cette carence a privé Madame [L] d’une chance sérieuse d’obtenir gain de cause contre les constructeurs au titre de la garantie décennale :

« 10. Dès lors que la cour d’appel a constaté que la juridiction saisie de l’action en garantie décennale avait rejeté la demande de Mme [L] en l’absence de preuve d’un dommage portant atteinte à la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination dans le délai de dix ans et retenu que cette situation résultait pour partie du caractère hypothétique et imprécis des conclusions de l’expert, non étayées par des investigations sur la cause des désordres, elle a pu en déduire, sans être tenue d’ordonner une nouvelle expertise, que celui-ci avait commis une faute ayant fait perdre à Mme [L] une chance d’obtenir gain de cause en justice, souverainement évaluée à 40% » (Cass. civ. 1ère, 19 mars 2025, n°23-17.696).

L’arrêt rappelle que l’expert judiciaire, bien que désigné par le juge, n’est pas un auxiliaire de justice protégé par une immunité. Il reste un professionnel extérieur, tenu par les exigences de l’article 237 du Code de procédure civile : accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité. En cas de manquement, le droit commun de la responsabilité civile s’applique pleinement.

Cette décision bien que conforme à une jurisprudence envoie un message à la communauté des experts : rigueur méthodologiques et clarté des conclusions ne sont pas des options – elles sont des obligations.

Référence : Cass. civ. 1ère, 19 mars 2025, n° 23-17.696