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19
Juin

Intérêt à agir d’un syndicat de fonctionnaires contre une décision concernant un de ses représentants

(Conseil d’Etat, 23 juillet 2014, Fédération des syndicats de fonctionnaires)

Un syndicat de fonctionnaires, s’il est recevable à intervenir, le cas échéant, à l’appui d’une demande d’annulation d’une décision individuelle négative concernant un fonctionnaire, n’a pas qualité pour en solliciter seul l’annulation, ce, quand bien même le fonctionnaire serait le représentant élu de ce syndicat.

La position de principe rappelée par la Haute Juridiction administrative n’est pas nouvelle puisqu’en effet, elle résulte de décisions déjà anciennes (CE, Section, 13 décembre 1991, Syndicat CGT des employés communaux de la mairie de Nîmes et autres, n° 74153 ; et, même jour, Syndicat Inter-Co CFDT de la Vendée et autres, n° 80709 ; CE, 10 décembre 1997, Société Norminter Gascogne Pyrénées et commune de Pia, n° 158064).

L’apport principal de cette décision, rendue par la 2e et la 7e sous-section réunies, réside ainsi davantage dans la rigueur de son application.

L’alinéa 2 de l’article 8 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 énonce que les organisations syndicales « peuvent se pourvoir devant les juridictions compétentes contre les actes réglementaires concernant le statut du personnel et contre les décisions individuelles portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires ».

S’agissant des décisions individuelles et par dérogation au principe selon lequel « Nul ne plaide par procureur », les syndicats sont ainsi uniquement recevables à contester seuls les mesures individuelles portant atteinte à l’intérêt collectif des fonctionnaires.

En ce domaine, il est classique de distinguer, tant en doctrine qu’en jurisprudence, entre les mesures individuelles dites « positives » et les mesures individuelles dîtes « négatives ».

Les syndicats sont ainsi recevables à agir seuls à l’encontre des décisions individuelles positives telles que notamment des décisions de nomination et de promotions de fonctionnaires, ou encore à l’encontre de la liste des candidats admis à un concours (CE, 10 juill. 1996, Synd. CFDT interco Bouches-du-Rhône).

En revanche, les syndicats ne peuvent agir seuls à l’encontre de mesures individuelles négatives ; ces décisions étant qualifiées de négatives car elles apparaissent essentiellement comme défavorables à leurs destinataires.

Enfin, si, en principe, les syndicats de fonctionnaires n’ont pas d’intérêt à agir contre les mesures « relatives à l’organisation du service » (CE, ass., 26 oct. 1956, Assoc. gén. administrateurs civils), il existe néanmoins certaines exceptions, notamment s’agissant de mesures portant atteintes aux avantages et garanties offertes par le statut général ou les statuts particuliers (CE, 16 déc. 1960, L’Herbier : Rec. CE 1960, p. 707).

En l’espèce, une décision de mutation d’office avait été notifiée à un agent titulaire employé par la direction des services fiscaux en Nouvelle-Calédonie. La fédération des syndicats de fonctionnaires, dont cet agent est le représentant élu, a sollicité seule devant le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie l’annulation de la décision de sanction.

La demande de la fédération ayant été rejetée en première instance et en appel, elle a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’État.

A cette occasion et rejetant le pourvoi, la Haute Juridiction administrative rappelle que si la fédération des syndicats des fonctionnaires « est recevable à intervenir, le cas échéant, à l’appui d’une demande d’annulation d’une telle décision présentée devant le juge administratif par le fonctionnaire intéressé », elle « n’a pas qualité pour en solliciter elle-même l’annulation, alors même que M. B…serait le représentant élu de cette fédération ».

Il est vrai qu’il n’est pas sérieusement discutable qu’une décision de mutation d’office, laquelle constitue une sanction disciplinaire, constitue une « décision individuelle négative ».

Pour autant, a minima, le syndicat demandeur aurait pu tenter de justifier la recevabilité de son recours en démontrant que la décision de mutation d’office d’un représentant élu d’une fédération syndical était susceptible d’être analyser comme « une décision individuelle portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires » au sens de l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi du 13 juillet 1983 ou « portant atteinte aux droits et prérogatives statutaires des agents ».

Une telle position pouvait théoriquement s’envisager dès lors, en premier lieu, que la liberté syndicale et son exercice effectif constitue des droits et garanties statutaires ayant, par essence, vocation à la défense d’intérêts collectifs.

Par-là-même, la mutation d’office du représentant élu d’une fédération syndicale aurait pu, selon une acception moins rigoriste – a fortiori dans un contexte politique prônant le développement de la démocratie sociale – s’analyser comme une décision individuelle portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires, puisqu’évinçant le représentant syndical que ces derniers s’étaient eux-mêmes choisi pour la défense desdits intérêts collectifs.

Néanmoins, au cas d’espèce, les Juges du fond, suivis en cela par le Conseil d’Etat, ont purement et simplement rejeté la requête par la voie d’ordonnance comme constituant une requête « manifestement irrecevable » au sein de l’article R. 222-1 du code de justice administrative (CJA).

Le signal d’une acception stricte de l’intérêt à agir des syndicats de fonctionnaire à l’encontre de décisions individuelles apparait d’autant plus clair que le Juge administratif aurait pu, dans l’espèce qui lui était soumise, fonder la légalité de son ordonnance par l’irrecevabilité manifeste de la requête tenant à sa tardiveté.

Par cette décision, le Conseil d’Etat a donc une nouvelle fois validé la distinction entre mesures individuelles positives et mesures individuelles négatives, ce, probablement au détriment d’une politique jurisprudentielle plus souple reposant sur une appréciation in concreto de la notion législative d’« atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires ».

Le juge administratif, fidèle au caractère objectif du recours pour excès de pouvoir, s’attache ainsi à la nature de la décision plutôt qu’à la qualité de son destinataire. Ainsi, un représentant syndical n’a pas, ès qualité d’agent public, plus de droit que les autres agents qu’il a pour fonction de représenter.

Ce faisant, les juges du Palais Royal ont – sciemment ou non – privilégier la protection de l’objectif de garantie des intérêts collectifs assignés aux syndicats de fonctionnaires plutôt qu’une protection des moyens – ici humains – mis à disposition.

Surtout, cette décision rappelle que l’intérêt à agir des syndicats à l’encontre des décisions individuelles, en ce qu’il constitue une exception au principe « nul ne plaide par procureur », se doit d’être

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