Par un avis de Section émis le 11 avril dernier, le Conseil d’Etat semble définitivement revenir sur la jurisprudence Deville retenue en 2019 pour l’application des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’Urbanisme.
Précisément, l’occasion lui est donnée par le Tribunal Administratif de Toulon qui, par une décision intervenue le 8 novembre 2024 (n° 2400101), a formulé la question suivante :
« Un pétitionnaire qui, en dehors de toutes dispositions législatives et réglementaires prévoyant la possibilité pour l’autorité compétente d’assortir son autorisation d’urbanisme de prescriptions spéciales, se voit opposer un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable, peut-il se prévaloir, devant le juge, de ce que, bien que son projet méconnaisse les dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect, cette dernière aurait pu ou dû lui délivrer cette autorisation en l’assortissant de prescriptions ? »
Il s’agissait donc ici de trancher la question de la généralisation de la solution retenue en 2019 par la décision dite « Deville » (CE, 26-06-2019 : n° 412429) rendue pour l’application des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’Urbanisme.
A cette occasion, la Haute Juridiction avait retenu que l’administration compétente pouvait régulièrement opposer un refus d’autorisation sur ce fondement que pour autant qu’il n’était pas possible d’accorder l’autorisation demandée en l’assortissant de prescriptions assurant la conformité du projet, sans y apporter de modifications substantielles.
Cette solution, retenue spécifiquement pour l’application de l’article R. 111-2 dont le texte envisage expréssement la possibilité de fixer des prescriptions spéciales, était inégalement appliquée pour l’application de dispositions plus « impératives » ; certains Tribunaux retenant l’illégalité de décisions de refus fondées sur des règles posées par le document d’urbanisme, dès lors que l’administration compétente aurait pu utiliser des prescriptions pour « redresser » des projets non conformes au-dites règles.
Le Conseil d’Etat se refuse à cette évolution en des termes pour le moins génériques : « Le pétitionnaire auquel est opposée une décision de refus de permis de construire ou d’opposition à déclaration préalable ne peut utilement se prévaloir devant le juge de l’excès de pouvoir de ce que l’autorité administrative compétente aurait dû lui délivrer l’autorisation sollicitée en l’assortissant de prescriptions spéciales ».
La formulation retenue ne fait pas de distinction selon les règles sur le fondement desquelles le refus est opposé.
S’agit-il d’un revirement pur et simple de la jurisprudence Deville ou d’un refus de sa généralisation sans qu’elle ne soit pour autant abandonnée s’agissant de l’application de l’article R. 111-2 ?
Le fichage de cet avis semble démontrer un revirement dans la mesure où il renseigne que la solution retenue dans la décision Deville de subordonner la légalité d’un refus de permis à l’impossibilité légale de l’accorder en l’assortissant de prescriptions spéciales est une « Solution abandonnée par CE, Section, 11 avril 2025, Société AEI Promotion, n° 498803, à publier au Recueil ».
Dès lors, il serait donc à retenir que l’administration n’est jamais tenue d’autoriser sous prescriptions, le Conseil retenant cumumativement :
- Qu’il appartient à l’autorité compétence d’assurer la conformité des projets qui lui sont soumis aux dispositions applicables et de n’autoriser que ceux qui sont effectivement conformes,
- Que le pétitionnaire peut faire évoluer son projet au cours de l’instruction de sa demande « le cas échéant après que l’autorité administrative compétente lui a fait part des absences de conformité de son projet » (voir en ce sens : CE, 1-12-2023, Commune de Gorbio : n° 448905),
- Que l’administration dispose de la faculté d’accorder l’autorisation en l’assortissant de prescriptions précises et limitées pour assurer la conformité du projet aux dispositions qui lui sont opposables (voir en ce sens : CE, sect., 13-03-2015 : n° 358677).
Le Conseil d’Etat privilégie donc l’idée d’un dialogue (qui est tout de même diversement effectif en fonction des pratiques des territoires) entre les services instructeurs et les porteurs de projet, en s’appuyant sur la possibilité de faire évoluer le projet dans le cadre de l’instruction de la demande, plutôt que d’imposer au service instructeur (et le cas échéant au Juge) de devoir redessiner lui-même le projet pour assurer sa conformité.
Référence : CE, Sect., avis, 11-04-2025, Société AEI Promotion : n° 498803.