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08
Juil

QPC: LES GENS DU VOYAGE DEVANT LE JUGE CONSTITUTIONNEL

Le Conseil d’Etat a transmis une QPC sur les articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000, relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui prévoit l’interdiction de stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d’accueil.

L’ACCUEIL DES GENS DU VOYAGE

Les « Gens du voyage » ont la possibilité de faire juger de la constitutionnalité de la loi du 5 juillet 2000.

Le Conseil d’Etat a transmis une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur les articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000, relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui prévoit l’interdiction de stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d’accueil.

C’est la 1ère fois que le Conseil d’Etat s’exprime sur une QPC transmise par une Cour Administrative d’Appel.

Par ordonnance du 22 mars 2010, le Président de la 4ème Chambre la Cour Administrative d’Appel de VERSAILLES a renvoyé au Conseil d’Etat, le soin d’apprécier la transmission au Conseil Constitutionnel, de la question relative à la constitutionalité des articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage.

Le contentieux était né à la COURNEUVE, à la fin de l’année 2009, le Préfet de la SEINE SAINT DENIS ayant mis en demeure Messieurs OPRA et BALTA, qui appartiennent à une communauté roumaine d’une soixantaine de personnes, vivant dans une douzaine de caravanes avec une vingtaine de véhicules, d’évacuer une impasse dans les 24h.

Après que le Tribunal Administratif de MONTREUIL ait rejeté leur recours avec excès de pouvoir, ils ont saisi la Cour de VERSAILLES en ajoutant à leur argumentation un moyen distinct sur l’inconstitutionnalité de l’article 9 et de l’article 9-1 de la loi du 5 juillet 2000, relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage.
Il convient de rappeler le contexte : ces dispositions sont issues d’une loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance qui a modifié le texte de 2000. Ces deux lois de 2000 et 2007 sont en effet venues compléter et élargir le 1er dispositif en faveur des gens du voyage fixé par la loi BESSON du 31 mai 1990, qui avait prévu le principe d’un schéma départemental pour l’accueil des gens du voyage, et une obligation pour les communes de
plus de 5000 habitants d’organiser les conditions d’accueil de ces populations.

L’article 1er dispose que les communes participent à l’accueil des personnes dites « gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles».
Lorsque les communes assument leurs obligations, le cas échéant dans un cadre intercommunal, les maires peuvent alors interdire le stationnement de ces résidences mobiles en dehors des aires en question (article 9) : une interdiction de stationnementpeut être édictée sur la totalité de la commune dès lors que celle-ci a prévu des conditions d’accueil.

En application de la loi de 2000, lorsque le Maire de la commune a constaté que l’interdiction légalement édictée n’était pas respectée, il pouvait saisir le Tribunal de Grande Instancepour obtenir l’expulsion soit d’un terrain communal soit même, dans certaines conditions, de terrains privés, dès lors que la salubrité, la tranquillité ou la tranquillité publique était en cause.

La loi du 5 mars 2007 a modifié la nature des mesures de police susceptibles d’être prises par les maires, avec l’idée d’accélérer la procédure. Les articles 9 et 9-1 permettent en effet d’interdire par arrêté municipal le stationnement des résidences mobiles en dehors des heures d’accueil.

En cas de méconnaissance de cette interdiction, le Maire ou le propriétaire du terrain peut demander au Préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux en cas d’atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique dans un délai de 24h minimum.

En cas d’inexécution, si la mise en demeure n’a pas été contestée, le Préfet peut alors procéder à l’évacuation forcée.
Il est prévu des voies de recours devant le Tribunal administratif tout à fait dérogatoires et très brèves, avec une saisine du Juge dans le délai de la mise en demeure, un effet suspensif du recours et une décision du Tribunal Administratif dans les 72h.

Ces pouvoirs de police sont particulièrement dérogatoires au droit commun puisque l’expulsion d’occupants sans titre suppose en principe, l’intervention du Juge Civil, ou, dans le cas de l’occupation du domaine public, du Juge Administratif.

Les requérants avaient dès lors développé un moyen tiré de ce que les articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000, portaient atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution.

Par un arrêt du 28 mai 2010, le Conseil d’Etat , renvoie au Conseil Constitutionnel la question de la conformité à la constitution de l’article 9 et 9-1 de ladite loi dans leur rédaction résultant du 5 mars et 20 décembre 2007, considérant que les conditions de la QPC sont remplies, c’est-à-dire que la disposition contestée est applicable au litige de la procédure, qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs ou le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstance et qu’elle est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Le Conseil d’Etat après avoir relevé que les dispositions de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 étaitent applicables au litige, que celles de l’article 9-1 de la même loi, qui prévoit la procédure d’expulsion ci-avant rappelée, peuvent être mises en oeuvre dans toutes les communes, y compris donc dans celles qui ne seraient pas mentionnées à cet article, sont indissociables des dispositions de l’article 9, et qu’elles sont dès lors également applicables au
litige.

Le Conseil d’Etat rajoute que les dispositions des articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000 n’ont pas déjà été déclarées conformes à la constitution par le Conseil Constitutionnel et que dès lors le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article 9 et eu égard au lien entre les deux articles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution, et notamment au principe d’égalité devant la loi soulève une question présentant un caractère sérieux.

Le rapporteur public avait pour sa part considéré comme sérieux le moyen tiré de l’atteinte portée à la liberté d’aller et venir au regard des dispositions de l’article 9-1 : cet article généralise en effet à l’ensemble des communes de France le dispositif de l’article 9 qui lui ne s’appliquait qu’aux communes inscrites au schéma départemental, c’est-à-dire celles qui comptent plus de 5000 habitants ou qui sont volontaires pour participer à l’accueil des gens du voyage d’une manière ou d’une autre.

Si pour ces dernières, on comprend le « donnant-donnant », c’est-à-dire une participation d’un côté et un pouvoir de police élargi de l’autre, par contre, pour celles qui ne sont pas dans un tel schéma, on ne voit pas pourquoi le Préfet disposerait du pouvoir d’évacuer d’office des occupants de résidences mobiles, alors qu’aucun arrêté municipal n’interdirait le stationnement dans l’ensemble de la commune ou ne pourrait d’ailleurs le faire.

Par ailleurs, sur le moyen tiré de la constitutionalité de la loi au regard du principe d’égalité, le rapporteur public a considéré que ce moyen apparaissait également sérieux.
Le principe d’égalité est défini à l’article 1er de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, ainsi qu’à l’article 1er de la constitution.
Or, en l’espèce, le champ d’application de la loi est bien dérogatoire au droit commun qui serait défini par des considérations ethniques au vu du traitement différent et discriminatoire qu’on impose aux gens du voyage pendant que d’autres occupants sans titre pourraient bénéficier de dispositifs plus encadrés, supposant en particulier l’intervention du Juge Judiciaire.

Les requérants faisaient donc valoir que les dispositions de la loi ne s’appliquent qu’aux gens du voyage, définis à l’article 1er comme ceux dont « l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles », cette notion renvoyant à des groupes ethniques bien identifiés.
Certes, la France n’a fait que suivre en la matière les recommandations de diverses instances européennes et inter-régionales.
Le Conseil d’Etat a suivi l’argumentation de son rapporteur public sur ce point, considérant effectivement que le Conseil Constitutionnel pouvait avoir à se prononcer sur l’atteinte protée au principe d’égalité. En effet, le champ d’application de la loi du 5 juillet 2000 est clairement « ethnique », ce que la constitution semble interdire avec force.

D’autant que la différenciation est encore plus nette au regard de la création de procédure exorbitante de droit commun : comme le souligne le rapporteur public, pourquoi les gens du voyage pourraient ils être évacués par la force de leur terrain dans les 24h alors que tout autre occupant du même terrain ne pourrait être évacué que sur décision juridictionnelle puis demande de concours de la force public par le propriétaire ?

Sans doute la volonté de donner un caractère efficace à cette mesure s’explique-t-elle par le souci d’encourager les maires à faire ce qu’il faut pour qu’il y ait des aires d’accueil dans leurs villes, et ainsi disposer de cette arme efficace en cas de stationnement sauvage. Ces éléments constituent t-ils cependant une différence de situation telle qu’une mesure de police aussi particulière puisse être adoptée ?
Le Conseil Constitutionnel est saisi de la question.